Aborder le problème des obstacles au traitement dans la dermatite atopique, ne concerne pas uniquement les problèmes de la peur du dermocorticoide et du coût des soins. D’autres obstacles plus subtils émaillent tout le parcours du patient.
Un parcours standard commence par la prise de conscience par l’individu de son problème de santé, puis il consulte son médecin, lequel fait un diagnostic, propose un traitement le plus souvent sous la forme d’une ordonnance. Le patient se rend à la pharmacie pour obtenir le traitement, il le fait chez lui et dans les meilleurs des cas, le problème disparaît. Tout le monde est content.
Sauf que particulièrement dans la dermatite atopique, ça ne se passe pas comme ça.
Le grattage est une manifestation du corps banale, banalisée, et pourtant inadmissible pour l’entourage qui intime rapidement un « arrête de te gratter ! » Se reconnaître comme malade n’est pas évident dans le cas de la dermatite atopique. Beaucoup en doutent tant dans le milieu familial que chez les médecins. « Ah non, on ne va pas en plus leur dire que leur enfant est malade ! » peut-on entendre de la part de médecins généralistes lors de formation médicale continue. « Mais alors si je suis malade, j’ai droit à un traitement » me confie un jour une patiente atopique de longue date et pharmacien ! « Comment s’est passée votre hospitalisation ? J’ai été considéré comme un malade … » Intégrer le symptôme « grattage » dans le cadre d’une « maladie » prend du temps… Ce retard est très délétère en terme de souffrance physique bien sûr, mais aussi en terme de souffrance morale, car le patient se sent dénigré et incompris. Ce retard est certes favorisé par une attitude consumériste exprimée par un « débarrassez-moi de ce truc là ! » et la facilité d’accès aux informations véhiculées sur internet. Celles-ci sont de deux ordres : soit du scientifique bien fait mais qui ne répond pas aux questions que se pose le patient, soit de l’émotionnel, reflet de toutes les frustrations face à une maladie mal comprise, ce qui va accentuer la confusion. Mais un jour à force de recherches et d’expériences, certains patients inversent l’injonction en question du style « ça me concerne en quoi ce problème ? » Ce changement devrait pourtant être incité par le monde des soignants. Encore faudrait-il que ceux-ci soient persuadés que la dermatite atopique est une maladie. Pourtant le bénéfice de la reconnaissance d’être un malade est majeur : il permet de diminuer la culpabilité que ressent si fortement toute cette communauté de patients et il facilite l’adhésion au traitement en le légitimant.
À qui le patient va-t-il s’adresser ? il a le choix entre l’allergologue, le dermatologue, le médecin de famille dans le circuit de l’allopathie, il faut rajouter les homéopathes, les acupuncteurs pour les médecins des médecines dites douces sans oublier les non médecins : psychologues, naturopathes, étiopathes, ostéopathes, passeurs de feu, magnétiseurs …Le problème est majeur car chacun va avoir un discours différent, et l’incohérence de ces discours « vous êtes fusionnel à votre mère, c’est le foie, c’est allergique, c’est le lait, la cortisone surtout pas, vous êtes devenu dépendant … » va discréditer tous les discours et faire perdre confiance au patient. Il va se sentir de plus en plus seul et ne va plus croire en rien.
La pharmacie est la dernière à intervenir avant le passage à l’acte du patient face à ses crèmes et ses doutes… Le dernier qui parle a donc une place toute particulière. Or il n’est pas rare que les patients voient une moue, un regard suspicieux voire carrément entendent une phrase énoncée clairement : « Ah bon tout ça, vous êtes sur ?, et puis surtout n’allez pas au soleil avec la cortisone… » Si le patient gardait quelques craintes sur l’innocuité du traitement, ses doutes se transforment en certitudes : il ne fera pas le traitement, ou juste histoire de se soulager un peu mais pas plus !
Surtout pas ! C’est là que les pires obstacles apparaissent, tous ceux qui sont liés à la culture, la famille, les habitudes, les codes sociétaux. Exemple : une jeune femme ne voulait pas diminuer son temps de douche ( deux fois 20 mn par jour ) car la première correspondait à sa préparation à sa relation à son mari et la deuxième au fait de devoir enlever les odeurs…, autre exemple : un papa qui vient m’insulter en consultation car j’avais demandé à la maman d’enlever la bouteille de soda à table …
Elles peuvent schématiquement rentrer dans 3 cadres : le pouvoir, le vouloir, le savoir
Tous ces espaces sont autant de couches de bétons qui structurent le sous-sol du patient, sur lequel il s’est construit pendant tant d’années. Les mettre en évidence rassure le patient sur la compétence du soignant à le comprendre
Le pouvoir correspond à la faisabilité du traitement, c'est-à-dire par quels moyens, par quelle stratégie le patient a-t-il accès à ses soins et en pratique comment les fait-il ?
Si au bout d’un mois la quantité appliquée n’a pas diminué du fait de la régression attendue de la surface des plaques sous l’effet du traitement, c’est qu’il faut revoir l’ensemble du traitement. Donc la notion suivante impérative en terme de stratégie est :
On a souvent la surprise de découvrir à quel point des mots simples peuvent être interprétés de façons très différentes : par exemple le mot « toilette » peut se limiter au lavabo quand le mot « douche » correspond à ce qui se passe à la douche et on découvre à cette occasion que le patient utilise des produits d’hygiène différents dont il ne parlait pas avant. Demandez-lui les produits qu’il utilise pour la dermatite atopique, il vous les donnera, mais demandez lui s’il n’en a pas pour autre chose : l’acné, les gommages… et il en aura d’autres qu’il ne nommait pas non plus !
Le vouloir correspond à des notions plus inconscientes.
On peut comprendre ici le paradoxe effrayant que le souci de ne surtout pas faire rentrer le mal va réellement pérenniser la maladie et la rendre chronique par manque de soins adaptés !
Le savoir correspond à ce que sait le patient de sa maladie. Aucun patient et surtout dans la dermatite atopique n’est vierge d’une idée sur son problème et il est impossible de faire changer une idée juste sous prétexte que le médecin aurait donné sa version.
Si on cherche à apprendre quelque chose de nouveau à un patient, il faut d’abord lui demander ce qu’il sait, tout en sachant, que le plus souvent il n’a pas vraiment conscience de ce qu’il sait. Dans le champ du savoir il y a 5 cases à explorer ensemble :
La peau n’est pas un organe comme les autres. Elle est chargée du regard et du poids de l’interprétation que la société en donne. La peau se fait côtoyer Eros et Thanatos, Eros dans la caresse de la peau douce, Thanatos dans le dégoût de la peau abîmée. Le patient atopique est soumis à un regard très négatif dès son plus jeune âge. Ce patient est également soumis à lecture linéaire des causes et des effets : si le stress déclenche la dermatite atopique, c’est que ça se passe dans la tête.
L’application d’un médicament directement sur la peau a plus d’impact dans l’imaginaire du patient que le fait de l’avaler sous forme de comprimé. N’est-il pas paradoxal que le patient atteint d’urticaire chronique abuse de corticoïdes oraux alors que le patient atopique n’ose pas appliquer le dermocorticoïde ? La confusion des effets secondaires de la cortisone par voie orale et celle par voie locale est habituelle, même chez les soignants et leurs étudiants…
Du côté des soignants, médecin et pharmaciens confondus, le manque de formation est flagrant, avec juste une douzaine d’heures accordées à toute la dermatologie pendant toutes leurs études. Le déni de la gravité de la maladie, partagé par tant de familles et de soignants, est le reflet du manque de considération de la souffrance physique et morale, alors que toutes les études de qualité de vie prouvent que la dégradation de leur qualité de vie est épouvantable . Peu à peu le patient se croit coupable et incapable : il est incapable d’arrêter de se gratter, de trouver un traitement, de traiter sa tête …
Avoir en tête trois concepts majeurs :
Le patient atopique a besoin de sécurité. La créer revient à :
Ce qui en pratique correspond à offrir :
Ce qui revient à parler des obstacles au niveau des médecins car ils n’ont pas le premier (le temps), ne sont pas formés à la deuxième (la pédagogie), et le seraient-ils aucune cotation ne viendrait les gratifier de leur investissement…
Le parcours du patient atopique peut se comparer à une course de 110 m haies.
Le passage de la ligne d’arrivée correspondrait à la mise en œuvre du traitement. Avant, autant d’obstacles qui l’ont fait trébuché et fait perdre confiance dans le monde des soignants, dans le traitement et en lui-même. Le refus de la cortisone n’est pas que le reflet de la peur de son emploi, elle devient aussi le fer de lance d’une revendication à une prise en charge plus globale qui tienne compte des difficultés traversées et tente d’y donner du sens. Cette prise en charge est possible par le biais de l’attitude éducationnelle, déclinaison en libéral de la pratique hospitalière. Mais pour cela, il faudrait que le dermatologue ait du temps, ait une formation à cette pédagogie et une rétribution adaptée…
Les obstacles au traitement de l'eczéma sont la source de la mauvaise observance. Ils apparaissent dès le début de l’histoire :
Les préceptes de l’éducation thérapeutique permettent de répondre à ces questions. Cet article propose des réponses précises, déjà expérimentées, offertes en tant que support de réflexion pour que chacun les adapte à sa propre pratique.